L'Alaska c'est pas très différent de la Sibérie, Andrei Konchalovsky est comme un poisson dans l'eau dans cette terre, ancienne colonie russe, de neige, d'espaces infinis et de solitude. Au milieu de nulle part, une prison de haute sécurité. Le maître des lieux est Ranken (John P. Ryan) , grosse moustache, sourire sadique, il répond aux questions de journalistes télé. Le jugement est tombé : son prisonnier favori, Mannheim (Jon Voigt) qui vit depuis trois dans une cellule en isolation et enchaîné pourra retourner en cellule commune.
Jon Voigt s'est fait une gueule pas possible pour Mannheim surnommé Manny, mâchoire protubérante, dents abimées, des yeux de fou (le gauche est plus sombre comme mort) et grosse moustache, comme Ranken. Ce dernier considère ses prisonniers comme des animaux, ce qui n'est pas le moindre des paradoxes avec le surnom de Manny qui exprime l'idée de l'homme. Manny est l'idole des autres prisonniers, ils applaudissent à tout rompre son retour, jettent du PQ en flammes, les gardiens ne savent pas où donner de la tête.
Ranken sait que Manny va s'évader. Il le souhaite comme il le craint. Il a l'enchaîné précisément parce qu'il est le roi de l'évasion. Le plus heureux du retour de Manny est Buck (Eric Roberts), un gars musclé qui pratique la boxe. Buck s'impose à Manny. L'évasion est expédiée par Andrei Konchalovsky, elle ne l'intéresse pas (dans n'importe quel film américain, la préparation aurait pris une grande part du récit). Un chariot de linge dans lequel Manny se cache, poussé par Buck, une bouche d'égout et voilà le duo dehors en quelques minutes à peine.
Les deux caractères s'opposent immédiatement. Buck est un chien fou, il parle sans cesse, il exprime ses sentiments, il est excité comme un gamin. Pour lui, ça n'est qu'un jeu, une récréation. Manny est taiseux, il demande toutes les deux minutes à Buck de se taire, de se calmer, puis exige de le laisser seul. Pour couronner le tout, Buck est bien mal équipé, encore plus que Manny, des chaussures qui bâillent et des chaussettes trouées. Mais il veut rester avec son idole, il veut aussi s'évader et traverser les étendues sauvages et blanches de l'Alaska.
Tout autant que l'évasion, la montée dans le train, en fait quatre locomotives mises bout à bout, comme la raison de son emballement est expédiée. La locomotive de tête n'a plus de cheminot, le duo est en queue de train. Les voilà à nouveau prisonniers d'un élément qu'ils ne peuvent pas contrôler, l'accélération du convoi qui s'élance de plus en plus rapidement (réguliers rapides inserts sur le compteur de vitesse) et ce mouvement entraîne l'ensemble du récit sur un travelling avant des rails, une question évidente de morale.
Trois lieux se partagent les décors. L'intérieur de la locomotive où la vue est toujours obstruée par la neige qui tombe, le givre sur les vitres et où la promiscuité entre les deux hommes s'accroit. Assez vite ce n'est plus un jeu pour Buck et le regard de Manny devient de moins en moins humain. Ranken le traitait d'animal, « pas un animal, pire : humain » sort submergé Manny par la folie quand il s'agit de grimper de loco en loco pour freiner l'allure, de casser les cables qui relient chaque engin avec l'autre.
Le duo est bientôt rejoint par une femme (Rebecca De Mornay), très jeune, franchement inconsciente du danger qui l'attend. Elle s'était endormie dans une locomotive. Elle tire la sirène du train puis rencontre le duo. C'est ce grand bavard de Buck qui lui avoue qu'ils sont des évadés. Konchalovsky, baigné de mysticisme, fait de cet ange tombé du ciel celle qui va les sauver d'un désastre certain, leur éviter de foncer vers la voie sans issue promise par le centre des chemins de fer de l'Alaska.
Voilà le deuxième décor du film, bien au chaud, sur un mode comique pour commencer (une employée se fait les ongles, un autre regarde un magazine érotique, un troisième est aux chiottes) pour prolonger avec un suspense qui balance vers la science-fiction, en mode « Houston on a un problème », la navette est devenue folle. Le petit chef, très fier de son équipement informatique, conduit à distance le train, faisant bifurquer l'engin à chaque aiguillage comme autant de rebondissements du récit.
Reste Ranken toujours à la poursuite de Manny dans un hélicoptère de la police. Pour le dire simplement, Ranken n'est que le miroir de Manny. L'un n'existe pas sans l'autre, leur destin, forcément fatal, est intimement lié. Manny a beau être un animal, il libère Buck et la jeune femme dans un ultime sursaut d'humanité. Et parce que Andrei Konchalovsky n'est pas allé à Hollywood pour faire comme tout ses collègues, il prend le contre-pied de tout ce qu'on pouvvait attendre d'un finale entre deux bêtes fauves.
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