En voilà du mélodrame qui enserre inexorablement son personnage Lorenz (Alfred Abel) mais pint de fatum chez F.W. Murnau, contrairement aux cinémas de Victor Sjöström ou David W. Griffith. Dans Phantom, c'est ce jeune clerc d'une petite ville de province allemande qui fonce droit dans le mur pour aller au bout de sa passion pour une jeune femme dont il croise le regard quelques secondes seulement. Elle l'a renversé avec sa calèche. Elle allait trop vite. Il était sur son chemin.
Jusqu'à présent Lorenz n'aimait qu'une chose : la littérature. Lire est son obsession. Il est tant obnubilé par les livres qu'il ne remarque pas que Marie (Lil Dagover), la fille du libraire par ailleurs son voisin est amoureuse de lui. Il flâne dans les rues, s'arrête aux bouquinistes et arrive en retard à son travail, ce qui met en colère son supérieur. Il sera blâmé pour cela, d'autant que son collègue ne se gène pas pour l'enfoncer avec un obséquiosité et des courbettes devant le chef.
Lorenz se prend aussi pour un poète. Marie trouve ça très beau, son père se dit qu'un éditeur pourrait être intéressé. Mais l'éditeur trouve ça certes charmant mais très creux. C'est que FW Murnau considère aussi que son personnage principal est un médiocre. Il fait croire au spectateur dans le début de Phantom qu'il a de l'estime pour lui mais dans sa construction implacable il ne cesse de démontrer que ce grand dadais est fade.
Pourtant, le récit de Phantom vient de Lorenz lui-même. Dans le prologue, Lorenz est marié à Marie, ils vivent avec le père. Elle lui offre un cahier pour qu'il note toute cette scabreuse histoire. Le premier plan est bucolique, un arbre en fleurs, il annonce le printemps de la nouvelle vie de Lorenz. Au moins, on sait comment tout cela finit, par un mariage mais Lorenz n'épouse pas la femme qu'il aime, Marie est sa femme par défaut.
Pour bien mettre le contexte, Murnau décrit la famille de Lorenz. Un mère (Frida Richard) épuisée par la tâche, un jeune frère étudiant aux beaux-arts (un personnage relativement absent) et Emilie (Aud Egede Nissen) la jeune sœur qui traîne au lit, qui n'a sans doute aucun travail et qui ne veut pas en chercher. On remarque l'absence de père, on remarque aussi le logis modeste en étage dans un immeuble vétuste. La famille vit sur le salaire de Lorenz.
Dans la famille, il ne faut pas parler de la tante Schwabe (Grete Berger), la sœur de la mère de Lorenz. Les deux femmes sont fâchées. La tante est une usurière, elle n'a jamais travaillé déclare la mère, elle a empilé l'argent et est très radine. Mais Lorenz va aller la visiter pour lui emprunter de l'argent. La Schwabe aime bien Lorenz, elle prête de l'argent ce qui ne manque pas d'étonner son amant Wittgotschinsky (Anton Edthofer) qui vit à ses crochets.
Résumons, Lorenz perd son travail mais tomber fou amoureux d'une apparition, non pas Marie qui se languit mais une jeune femme bourgeoise Veronika (Lya de Putti) qui renverse le dadais avec sa calèche. Elle traverse la ville à toute vitesse. En voyant le visage de Veronika, Lorenz ne peut l'effacer. Murnau filme cet affect amoureux avec des plans de plus en plus serrés sur les visages de Veronika et Lorenz. A peine remis sur pied, la jeune femme reprend son chemin.
La nouvelle obsession de Lorenz est là. Finie la littérature, ce sera maintenant Veronika qu'il pense pouvoir conquérir facilement. Il se met à s'inventer toute une vie qui n'aura de cesse de se fracturer à la réalité. Surtout la mère de Veronika, une baronne, ne veut pas de se grand type. Alors Lorenz va chercher des palliatifs, ce sera une cocotte incarnée par la même actrice que Veronika, mais qui semble elle aussi avoir des soucis avec la réalité.
Pour appuyer encore plus l'obsession de Lorenz, Murnau reproduit la scène où Lorenz court derrière la calèche de son bien-aimée en transparence comme un rêve qui touche au cauchemar. Ce cauchemar va se prolonger quand il se lie d'amitié avec l'amant de sa tante, une amitié fausse puisque l'amant veut voler la Schwabe et il en profite pour faire de Melanie, la jeune sœur de Lorenz, sa nouvelle maîtresse. Elle au moins est jeune.
La séquence phare du film qui montre l'absolue déchéance de son héros médiocre a lieu dans un cabaret. Lorenz est avec le sosie de Veronika, les murs semblent les enserrer dans un carcan puis ils s'enfoncent irrémédiablement dans un cercle vicieux que Murnau montre avec un procédé aussi simple qu'efficace. C'est dans cette courte que le meilleur du cinéaste est à l'œuvre dans un film somme toute mélodramatique jusqu'à la caricature.
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