samedi 21 novembre 2020

L'Eventail de Lady Windermere (Ernst Lubitsch, 1925)

Le schéma est classique, le mari, la femme et l’amant. Lady Windermere (May cAvoy) occupe sa matinée à placer ses invités pour la soirée mondaine que ces aristocrates organisent. On a les occupations qu’on peut. Elle se demande où placer Lord Darlington (Ronald Colman), cet homme qui aimerait tant devenir son amant. Quand il arrive dans la pièce, Lady range rapidement le plan de table, elle n’ose pas rêver à cette idée qui lui a traversé l’esprit.

Or ce schéma d’adultère est inopérant car Lady Windermere ne trompe pas son mari avec Lord Darlington, pourtant ce dernier insiste. En un plan, Ernst Lubitsch met par terre l’éventuelle liaison, elle se refuse à lui, plan d’ensemble sur l’immense pièce surdimensionnée, Lord Darlington s’éloigne, abasourdi par le refus, il s’assoit un peu plus loin. C’est dans ces détails de distanciation que Lubitsch dépasse la pièce bavarde et statique d’Oscar Wilde.

Alors, passons à la liaison potentielle suivante. Encore un objet à cacher, le carnet de chèques de Lord Windermere (Bert Lytell). Il a fait un chèque de 1500 £ à une certaine Mrs. Erlynne (Irene Rich) – au départ, il était parti pour seulement 500 £ – une femme à la réputation scandaleuse qui a écrit au Lord. Elle a un secret à révéler et à monnayer : elle est la mère de Lady Windermere mais pour ne pas accabler sa fille, elle s’est faite passer pour morte.

Or l’enveloppe n’est pas passée inaperçue aux yeux de Lord Darlington. Avec un léger sourire en coin, il imagine que cette femme est la maîtresse de Lord Windermere. Ce qui l’encourage à poursuivre de ses assiduités Lady Windermere. Plus tard il demandera à cette femme qu’il aime d’aller fouiller dans le bureau de son époux. Elle aussi croira à cette liaison qui, pas plus que la sienne, n’existe en dehors de la propre invention des personnages.

Mrs. Erlynne veut refaire sa vie grâce à l’argent du Lord. Plus que jamais, les tenues, vêtements, robes de soirée sont au centre de la mise en scène d’Ernst Lubitsch. Mieux que cela, ils servent à Mrs. Erlynne à se mettre en scène lors d’une course de chevaux où tous les mondains sont présents. Elle se place au centre de toutes les attentions, d’abord au milieu des hommes qui se retournent sur son passage puis bien isolée pour que les cancanières puissent l’observer à la jumelle.

Ce à quoi la femme prodigue ne s’attendait pas est qu’un homme, plutôt âgé comme elle, Lord Augustus (Edward Martindel) jette son dévolu sur elle. Là encore la mise en place de la méthode d’approche est des plus simples. Le fringant Lord à la belle moustache grise la suit de loin. Ils passent devant le mur de l’hippodrome (rempli d’affiches publicitaires) et tandis qu’il marchent, l’écran se ferme à partir de la droite, l’écran devient noir comme la nuit.

Chaque personnage cache quelque chose à un autre. Seul le spectateur sait tout, il est dans une position magistrale permettant de se prendre de sympathie pour les deux femmes du film. Tout pourrait se résoudre facilement avec une simple explication, leur classe sociale et leur éducation rigoriste, la pudibonderie dans laquelle ils évoluent leur interdit. La pièce date de 1892 (l’année de naissance d’Ernst Lubitsch) et cet archaïsme est parfois un peu pesant.

Alors Ernst Lubitsch s’amuse avec les secrets, en invente quelques uns à double tranchant, toujours en cachant une partie de l’image. Ainsi Lady Windermere observe Mrs. Erlynne tenant la main d’un homme, l’homme est caché par un arbuste. Elle pense que cette main est celle de son mari. Dans la même séquence, Mrs. Erlynne voit la Lady derrière un mur, encore un cache, donc un nouveau secret à cacher aux autres personnages et à dévoiler au spectateur.

Mrs. Erlynne tient à être invitée à la soirée donnée par sa fille, en secret, mais bien là, accompagnée par Lord Augustus. Les cancanières sont là, trois mégères qu’Ernst Lubitsch croque comme des esquisses de vieilles biques mesquines qui distillent leur poison pour créer encore plus de troubles chez Lady Windermere. Elles sont des figures comiques avec leurs dents pourries – comme leurs paroles – d’autant plus comiques qu’elles sont ridicules dans leurs robes de soirée clinquantes, Mrs. Erlynne saura les flatter pour faire cesser les ragots.

Je n’ai pas encore parlé de l’éventail du titre. Il est l’objet fétiche de Lady Windermere. Il doit lui servir d’arme pour humilier Mrs. Erlynne si elle ose venir à sa soirée mondaine. L’éventail se retourne contre sa propriétaire au moment le plus tendu où tous les secrets accumulés menacent d’exploser aux visages de chacun. Seul le spectateur, pour son plus grand plaisir, saura le fin mot de toute cette comédie des mensonges et secrets qui verse régulièrement vers le drame.





































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