mercredi 10 juillet 2019

Le Cirque (Charles Chaplin, 1928)

Quelques mois avant Le Cirque, Hollywood découvrait un cirque tout ce qu'il y a de plus terrifiant grâce à Tod Browning et son film L'Inconnu. Le film de Charlie Chaplin n'est aussi désespéré mais la part de noirceur est présente dès l'entame avec ce père colérique et violent, le directeur du cirque qui jette sa belle jeune fille dans le cerceau, crevant l'étoile de papier. Parce qu'elle a raté son numéro, il décide de la priver de repas ce soir-là.

L'ambiance dans le cirque est morose et aucun spectateur ne rit aux culbutes des clowns plus sinistres que dans n'importe quel autre cirque. Ce que montre Le Cirque ce sont les coulisses du show business où la cruauté, la violence et l'épuisement règnent en maîtres. Ce sont les coulisses d'une tristesse incroyable et cela est un point de rapprochement avec le chef d’œuvre de Tod Browning, l'artiste circassien exerce le travail le moins drôle au monde.

« Il est le clou du spectacle mais il ne faut pas lui dire » explique le directeur du cirque avec une tronche de vieux mafieux tyrannique au contremaître des accessoires. Ce clou c'est ce vagabond qui débarque sous le chapiteau avec la naïveté du crève-la-faim. Tout ce qu'il voulait au départ était manger un peu (la faim est le grand sujet du Cirque) et il avait dévoré le hot-dog d'un bambin au nez et à la barbe du père qui portait son môme.

Seulement voilà, un pickpocket puis deux flics viennent se mettre en la bouche de Charlot et le hot-dog, résultat inévitable : une course poursuite dans la fête foraine et plus particulièrement dans la galerie des glaces. Joie de voir Charlot se démultiplier à l'infini dans les miroirs mais aussi esquiver sa propre ombre, celle de ce sempiternel vagabond que le public attend, comme celle du flic avant de devenir un automate, là encore une critique de la répétition de sa propre image.

Le Cirque rien que pour cette double entrée en matière qui joue le chaud et le froid, le show et l'effroi, est déjà grandiose mais c'est quand il arrive en fonçant dans l'arène que les meilleurs gags sont créés. Il s'agit de génie comique et de mise en place de burlesque où Chaplin détourne la routine des gags des clowns fatigués pour produire du neuf avec cette idée de mise en scène que le personnage ignore absolument ce qu'il est en train de faire sous nos yeux.

L'affreux jojo de patron exige de l'académisme, il veut des gags calibrés, ceux que les spectateurs attendent forcément dans un cirque. Chaplin file la métaphore avec le cinéma burlesque des années 1920 et qui s'épuise petite à petit devant l'absence d'inventivité des acteurs et réalisateurs comiques. 1928 quand il tourne Le Cirque, c'est déjà le début de la fin du splastick, du comique purement visuel, du burlesque échevelé et Le Cirque enregistre cette fin.

Ce qui sauve son comique, ce sont les animaux. La scène du lion dans sa cage où pénètre Charlot sans s'en rendre compte est célèbre. Elle a fait écrire des torrents de théorie par André Bazin sur le plan séquence. Las, il avait imaginé un plan séquence pour expliquer la peur ressentie pour le vagabond alors que la scène est très découpée et engage une métaphore de séduction virile (Charlot est un lion) quand il tente péniblement de séduire la jeune femme.

Autres animaux composant les numéros du cirque : les volatiles et lapins que le vagabond fait sortir, par erreur, des cachettes de la table du magicien. L'âne buté et féroce qui poursuit Charlot dans l'arène. Charlot n'a pas encore compris qu'il est le clou du spectacle. Plus tard, quand il réalise sa valeur, il veut remplacer le beau funambule et cette fois, tout en haut du chapiteau, ce sont des singes qui viennent le harceler et manquer de provoquer sa chute.

Car ce funambule qui se fait engager dans le cirque est désormais le rival de Charlot. La jeune femme en tombe amoureux et la conséquence directe est que le vagabond ne peut plus faire rire le public. Cela n'aurait pas pu se faire ouvertement en 1928, mais Chaplin envisageait de toute évidence une variation amoureuse à trois, à la Jules et Jim entre le vagabond, la jeune fille et le funambule. Cela est clairement visible dans une séquence coupée disponible sur le DVD.


Le funambule, bel homme en grand costume chic et chapeau claque, l'inverse de l'accoutrement de Charlot, énerve notre vagabond désormais vedette du cirque, malgré lui. Rarement le visage de Chaplin n'aura montré un regard aussi noir. Il s'imagine dans une scène botter le cul de son rival, il sort de son corps, lui règle son compte mais la réalité est tout autre. Encore et encore, le monde du spectacle est pur fantasme et cruel par nature.



























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