mercredi 11 novembre 2015

De l'utilisation du format 1:37 dans Le Fils de Saul (Laszlo Nemes, 2015) et Francofonia (Alexandre Sokourov, 2015)

A ma gauche, Le Fils de Saul film hongrois du jeune Laszlo Nemes dont c'est le premier long-métrage, primé à Cannes et succès public. A ma droite, Francofonia film franco-germano-suisse du russe Alexandre Sokourov, vieux briscard qui a affronté Lénine, Hitler ou Hiro Hito dans ses films. Chacun utilise le format 1:37 dans ces films (faussement nommé 4/3), du début à la fin dans Le Fils de Saul et partiellement dans Francofonia. Le format 1:37 n'est plus beaucoup utilisé au cinéma où l'on préfère les formats larges (et les télévisions se sont adaptés à ce fameux format 16/9) mais il est celui qui a prédominé dans les salles jusqu'à l'invention du cinémascope au milieu des années 1950. Revenir à ce format pour ces deux films revient à les ancrer dans leur époque, la deuxième guerre mondiale.

Laszlo Nemes suit Saul, prisonnier hongrois qui sert d'esclave dans le camp d'extermination d'Auschwitz. Sous la férule des soldats nazis, il travaille à la solution finale. La caméra, portée à l'épaule, le suit constamment. Le spectateur est dans ses pas sans possibilité de dévier de son regard, obligé de regarder ce qu'il voit dans ce cadre carré aux angles arrondis qui limite le champ de vision. Très souvent Saul se retourne, l’œil vague devant toute cette horreur accumulée. Qui plus est, seul Saul est net, le fond est toujours flou dans un film à la forme claire. L'image est légèrement sépia, dénaturant les couleurs, ce qui donne l'impression de voir des images d'époque. La méthodologie des nazies est documentée (et non documentaire), en ce sens qu'historiquement tout est véridique, à défaut d'être nécessaire pour poursuivre le récit du film, soit l'enterrement du fils de Saul selon les rites juifs.

Dans Francofonia, la documentation est moins rigoureuse. Le film d'Alexandre Sokourov suit la rencontre de Jacques Jaujard et du Comte Wolff-Metternich après la capitulation de la France. L'officier allemand doit s'occuper de gérer les musées français. Les deux acteurs choisis pour les incarner sont filmés dans un format 1:37 avec, sur la gauche, la bande sonore qui défile. La narrateur est le cinéaste lui-même qui regarde ces images qui apparaissent sur l'écran de cinéma de la même manière que sur une table de montage. Alexandre Sokourov discute d'ailleurs avec ses deux personnages, leur adressant la parole (lui en russe, les deux autres en français), supprimant tout effet documentaire pour s'avancer vers une douce rêverie. Seulement voilà, le discours du cinéaste russe est résolument réactionnaire faisant une analogie entre le triomphe de la guerre et celui de l'art.

Alexandre Sokourov accentue encore sa volonté de ne pas laisser le spectateur s'immerger tranquillement dans son film en explosant son récit (Marianne et Napoléon qui radotent, un cargo plein d’œuvres d'art qui va couler) tandis que Laszlo Nemes délaisse les couloirs de la mort pour risquer un film à suspense. Francofonia accentue la perte de sens dans sa cacophonie sonore digne des films de Godard de la période suisse, Alexandre Sokourov parle off pendant tout le film, la musique douce devient obsédante, les voix se chevauchent. Le Fils de Saul adopte le parti-pris inverse pour cueillir son spectateur dans un effet de redoutable sidération. Pas une note de musique mais à la place un terrifiant amalgame de cris et hurlements, ordres en allemand, machines sourdes mixées en quadriphonie contredisant le format d'époque puisque le son des années 1940 était mono. Le Fils de Saul devient une attraction foraine insupportable tandis que Francofonia sera aussi éloigné d'Une visite au Louvre que de Monuments men.

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