mardi 31 mai 2016

J'ai aussi regardé ces films en mai

Boulevard (Dito Montiel, 2014)
L'argument publicitaire du distributeur de Boulevard est de clamer que c'est le dernier film de Robin Williams. Il est vrai qu'il a mis un bon bout de temps à sortir. L'acteur fait ici dans le drame existentiel, un banquier un peu minable qui s'occupe des prêts. Il vit une vie bien tranquille réglée comme du papier à musique. Dîner chaque soir avec son épouse avec qui il fait chambre à part. C'est leur accord dont on ne connaît pas les raisons mais que le film va expliquer. Car notre héros aime les garçons mais n'a jamais pu le dire à quiconque. Un jour, il décide d'aller faire un tour dans la rue des prostitués mâles et tombe sur un jeune gars avec lequel il va engager une relation platonique qui va changer sa manière de vivre. Il faut ajouter que son père est mourant et que son meilleur ami, un prof de fac, se tape une de ses étudiantes. Dito Montiel, totalement inconnu chez nous, l'un des cinéastes qui a lancé Channing Tatum, filme ces amours entre un vieux et un jeune comme dans un soap opera, avec des pauses entre chaque réplique et des gros plans sur les yeux larmoyant. Résultat : zéro émotion.

Julieta (Pedro Almodovar, 2016)
Un soupçon d'Hitchcock, géniale Rossy de Palma en über Rebecca avec son œil torve qui semble jeter un sort à Julieta. Un zeste de Buñuel, deux actrices jouent le même personnage, certes à vingt ans de distance, mais la mise en scène de Pedro Almodovar est tellement précise que je ne remarquais pas les changements d'interprètes, soit Emma Suarez qui lance la narration en flash-back, et Adriana Ugarte la Julieta du passé. Une dose de Douglas Sirk, superbe scène quasi onirique de ce cerf qui marche sur la neige à côté du train. Finalement ce qui manque le plus à Julieta, c'est la touche d'Almodovar qui semble moins intéressé par le scénario et ses personnages mystérieux que par la joliesse de sa mise en scène et la manière de tarabiscoter sa narration. Aussitôt regardé aussitôt oublié.

Joyeuse fête des mères (Garry Marshall, 2016)
Le cinéaste de Pretty woman fait aujourd'hui des films choraux autour des fêtes populaires, après Valentine's day, après Happy new year, voici donc Joyeuse fête des mères (vivement Independence Day ou Labour Day). Comme beaucoup de films récents, tout est filmé en Géorgie, le nouvel eldorado du tax shelter américain, mais contrairement à The Nice guys, Ant-man, Captain America Civil War) ça se passe vraiment à Atlanta. Seulement voilà, le film réussit l'exploit à n'avoir aucun personnage Noir, alors que la ville est composée à 50% d'Afro-américains. Oui, un exploit. Le film se contente de parler de mariages, de divorce, de séparations, de veuvage, le tout englué dans des mensonges, des gamineries et des frustrations. Jennifer Aniston est maman de deux garçons et son ex s'est remarié avec une bimbo. Julia Roberts est une présentatrice de télé qui a abandonné sa fille à la naissance et cette dernière se sent mal à l'aise avec le mariage. Kate Hudson est mariée avec un hindou mais ne l'a jamais dit à ses parents texans bien racistes. D'ailleurs sa sœur est lesbienne et elle aussi n'a rien aux parents. Enfin, Jason Sudeikis est veuf avec deux filles (oui, il va finir avec Aniston comme dans We're the Millers). Tout se terminera pas des happy ends trop mignons.

De douces paroles (Shemi Zarhin, 2013)
Voici un très gentil film sur la fratrie, l'identité et la religion. Deux frères et une sœur apprennent, à la mort de leur maman adorée, que leur père qu'ils détestent depuis qu'il s'est remarié avec une jeune, n'est sans doute pas leur père. Il se pourrait même que leur géniteur soit Arabe. Natanael l'aîné est marié à une orthodoxe de Brooklyn venue vivre à Jérusalem. Ils ont trois enfants et vivent dans la stricte observance du judaïsme. Dorona est mariée à Ricky, ils viennent de comprendre qu'elle ne pourra jamais avoir d'enfants. Chai le dernier est homo mais papa d'une enfant que sa mère a emmenée en Roumanie. Trois typages de famille différente pour montrer que tout est très complexe là-bas en Israël et que le passé n'en finit pas de hanter cette génération. En effet, le fantôme de la mère vient enquiquiner Dorona. Les trois enfants partent avec Ricky à Paris dans un voyage sur les traces de leur mère. Guest star : Louise Portal. Puis direction Marseille. Guest star : Maurice Bénichou. On sourit un peu, on est un peu ému, tout est un peu mou et vaguement trop long.

lundi 30 mai 2016

Change pas de main (Paul Vecchiali, 1976)

Un film avec Catherine Deneuve en sélection officielle au Festival de Cannes 2016 (mais pas en compétition), des sorties en salles après 15 ans de diffusion très confidentielles de ses films (il n'a jamais arrêté de tourner), des éditions DVD de ses films des années 1970 et 1980, Paul Vecchiali fait l'actualité cinéphile ces derniers mois. J'ai donc regardé Change pas de main, (change pas demain) dont les premier plan illustre la citation apocryphe de Jean-Luc Godard « all you need for a movie is a girl and a gun ». Là, Melinda (Myriam Mezières) tient dans sa main droite gantée de blanc un revolver qui entre dans le champ tandis que le générique se déroule sur l'écran.

Je ne crois pas que je sois capable de résumer l'histoire concoctée par le cinéaste et Noël Simsolo. Pour lancer une formule, je dirais que Change pas de main, c'est un histoire de détective privé joué par une femme fatale revue et corrigée par Jean-Pierre Mocky et Rainer Werner Fassbinder dans le milieu du porno. Là, cette moquette blanche sur laquelle les deux femmes s'embrassent rappelle celle des Larmes amères de Petra von Kant et l'enquête policière évoque les complots politico-sexuels d'Un linceul n'a pas de poche. Mocky et Fassbinder sont des cousins de Vecchiali, si vous aimez les premiers, vous aimerez Change pas de main.

Ce qui frappe dans Change pas de main, ce sont les décors et les costumes, flamboyants et chatoyants. Paul Vecchiali cherche à transformer la France de 1975 en un studio des années de l'âge d'or de Hollywood. Manteaux de fourrures, chapeau, costumes croisés. Cabaret décadent, vaste appartement avec escalier et miroir ancien, petit chambre de bonnes. Chaque tenue, chaque couleur, chaque lieu donne un écho aux archétypes des personnages. Là aussi, le film joue sur ce que le spectateur connaît pour transfigurer les lieux communs du film policier, avec comme objet névralgique, le revolver, symbole phallique ô combien primordial dans le film.

Je n'ai fait aucune capture d'écran de ces scènes, mais Change pas de main est un film sur l'industrie du porno. L'un des axes scénaristiques se noue autour d'un chantage. On menace de révéler l'existence de films pornographiques que le fils d'une femme politique destinée à devenir ministre a tournés. Melinda tombe sur des photos, regarde des films projetés sur des bobines. Le film montre ces films porno, avec des fellations, des coïts en gros plans, une partouze (la seule image que je poste) ce qui valut au film un classement X. Le film mêle allégrement le politique et le porno, Paul Vecchiali glisse au spectateur que, pour lui, c'est la même chose, le même milieu.

On retrouve dans le film Hélène Surgères et Sonia Saviange, ses deux actrices de Femmes femmes, Michel Delahaye des Cahiers du cinéma (il jouait aussi dans Out 1 de Jacques Rivette), Noël Simsolo (l'homme en costume rouge sang), Howard Vernon (qui était dans le dernier Mabuse de Fritz Lang, autre référence scénaristique de Vecchiali, surtout ses deux derniers films américains sur le chantage La Cinquième victime et L'Invraisemblable vérité) et Jean-Christophe Bouvet corps étrange du cinéma français qui ne dit pas un mot de tout le film mais dont la présence nue et travestie transporte le film vers un au-delà cinématographique.



























dimanche 29 mai 2016

More (Barbet Schroeder, 1969)

Je suis arrivé à Barbet Schroeder par Pink Floyd que j'ai beaucoup écouté quand j'avais 20 ans. Je me rappelle ma fébrilité, et celle de mes amis fans eux aussi du groupe, quand Canal + a programmé More. Je me rappelle aussi notre relative déception. En revanche, la musique est toujours aussi bonne, d'une grande simplicité, des ritournelles très douces, des chansons fredonnées à la guitare et des instrumentaux plus expérimentaux à la batterie et aux claviers.

Barbet Schroeder utilise la musique du groupe essentiellement de manière intradiégétique. Un 33 tours que lance Estelle (Mimsy Farmer), une cassette BASF sur un magnétophone qu'écoute Stefan (Klaus Brückner). Elle écoute des chansons, lui des morceaux instrumentaux, cela montre leur différence. Le premier joint fumé est au son de Cymbaline à la mélodie planante, comme les deux autres chansons, Green is the colour et Crying song.

25 ans après ma première vision, More reste un document amusant et légèrement suranné sur la génération hippie qui part s'encanailler à Ibiza (l'Espagne est encore sous Franco), de bons bourgeois qui fuient une part de leur passé, comme Estelle dont le père est un ami d'Ernesto Wolf (Heinz Engelmann), un vieux retraité qui joue aux fléchettes avec des poignards dont le manche est décoré d'une croix gammée. Ernesto héberge Estelle.

Avant l'arrivée sur l'île aux maisons blanches (et qui sera le décor d'Amnesia), Stefan fait du stop, sous la pluie, pour quitter l'Allemagne et se rendre à Paris. Dans un café, il rencontre un certain Charlie, un gars qui va lui présenter plein de gens, l'inviter dans des fêtes. C'est lors l'une d'elles que Stefan rencontre Estelle. Elle reste mystérieuse. Leur premier dialogue consiste à ne rien se dire. « Tu fais quoi ? Rien. Et toi ? Rien ».

La partie parisienne est un chouette hommage à la Nouvelle Vague, ou plus précisément aux clichés de ces aînés de cinéma. Un vendeur noir du New York Herald Tribune, une chambre de bonne où se retrouvent Estelle et Stefan discutent de tout, de la vie, lui en noir, elle en rouge, les déambulations dans les cafés et les rues, la voix off de Stefan (dommage que l'acteur ait un jeu si limité et parfois terriblement pénible).

Elle lui donne rendez-vous à Ibiza. Il s'y rend une semaine après elle, il ne la trouve pas, il devient jaloux croyant qu'elle couche avec Ernesto, commence à lui faire la morale, et surtout, il lui reproche de se droguer (du horse, surnom de l'héroïne). Il résiste un certain temps à goûter la drogue dure puis cède, lors d'une scène d'amour à trois. La longue descente aux enfers peut commencer, Estelle et Stefan vont passer une année à se piquer.

Barbet Schroeder refuse de filmer les effets de la drogue sur ses personnages, si ce n'est avec les morceaux de Pink Floyd en contrepoint. Ce qui est filmé dans More, c'est le comportement de Stefan quand il est en manque et quand il s'est piqué, c'est la recherche quotidienne de la drogue qui passe par le vol. Le cinéaste filme tout cela avec un ton neutre, il laisse agir ses personnages dans leur libre arbitre.

















vendredi 27 mai 2016

Elle (Paul Verhoeven, 2016)

« Tu es très étroite pour une femme de ton âge ». Voilà le SMS que reçoit Michèle (Isabelle Huppert) un soir sur son téléphone portable. L'auteur du texto est inconnu mais elle sait que c'est son violeur, cet homme masqué que l'on vu dans la scène d'ouverture, brutale et énigmatique. Paul Verhoeven lance son nouveau film, Elle, dix ans après Black book, son dernier film au cinéma, avec le regard d'un chat. Ça a quoi comme émotion un chat ? Le chat à Michèle est le seul témoin du viol, des claques qu'elle reçoit, du râle qui s'entend, du sang sur sa main. Car Michèle a ses règles ce jour-là et elle se retrouve avec un coquard sous l’œil.

N'importe quel autre cinéaste aurait profité de ce lancement tonitruant pour poursuivre avec un thriller plein de suspense (et Elle a du suspense), une enquête policière palpitante, mais ce serait trop simple pour ce cher Paul Verhoeven qui ne ménage pas ses efforts pour mener un récit simple en apparence mais complexe en réalité avec un grand nombre de personnages tous plus ou moins triturés par leur passé (et surtout tous admirablement joués). Michèle est au centre du récit avec tout les autres qui tournent autour d'elle, telle une force gravitationnelle.

La grande idée de Paul Verhoeven est de toucher au genre, le thriller, sans vraiment y toucher, avec cette scène de viol qui scande la mémoire de Michèle. Le chat était donc le seul témoin et les souvenirs de notre héroïne lui jouent des tours, le point de vue diverge, les plans se modifient. Le cinéaste avait déjà pratiqué dans Turkish delight et Le Quatrième homme cette exposition d'une scène de pur fantasme où le sexe et la violence se mêlent, sans qu'il soit possible de savoir si Michèle n'est pas en train de prendre du plaisir à son souvenir.

A qui peut-elle bien parler de son viol qui ne semble pas l'avoir traumatisé ? A sa meilleure amie Anna (Anne Consigny) avec qui elle a fondé, après avoir été éditrice, une société de jeux vidéo (le film apparaissant du coup comme une suite de L'Avenir de Mia Hansen-Love) ? A son fils Vincent (Jonas Bloquet), un grand dadais né le même jour que le fils d'Anna, c'est ainsi que les deux femmes se sont rencontrées, un garçon à l'écoute de sa mère mais totalement débordé par sa vie de couple, de la naissance du bébé de sa compagne Josie (Alice Isaaz) ?

Et la galerie de personnages tous plus névrosés et déréglés continue, souvent avec un humour vachard. Le mari Richard (Charles Berling) qui se met avec une doctorante prof de yoga (Vimala Pons). La mère de Michèle (Judith Magre) qui se tape Ralph (Raphaël Lenglet) un trentenaire baraqué. Robert (Christian Berkel) le mari d'Anna qui couche avec Michèle. Et les voisins, Rebecca (Virginie Efira) et Patrick (Laurent Lafitte) qui viennent d'arriver dans le quartier. Sans oublier Kurt (Lucas Prisor) et Kevin (Arthur Mazet) deux designers de ses jeux vidéo.

Le plaisir que j'ai pris à regarder Elle tient, dans sa première heure, à présenter tous ces personnages par petite touche, à la manière d'un impressionniste. Paul Verhoeven distille les renseignements sur chacun, les fait jouer au jeu du chat et de la souris avec Michèle (d'où sans doute la présence du félin comme témoin muet mais consentant, comme le spectateur du film), il lance des pistes avec des jeux de regards parfois fuyants parfois fixes et insistant. Sans doute à cause (grâce à) la barrière de la langue, il doit passer par un autre moyen que les dialogues pour constituer ses personnages.

Au milieu du film, une scène de repas avec toute la famille et les amis de Michèle, lors du réveillon de Noël, va lancer la chute de son personnage. Autour d'une table ovale, Michèle trône en maîtresse de cérémonie mais chacun va, petit à petit, sabrer son pouvoir et annoncer des bouleversements. La deuxième heure de Elle ne s'en tient pas à révéler des secrets que le spectateur aura devinés, ce qui compte pour Paul Verhoeven est l’enchaînement de ces révélations, la manière de dévoiler ces secrets. Et pour croquer les secrets minables des gens vulgaires et hypocrites, le cinéaste reste toujours l'un des meilleurs.

Charlot cambrioleur (Charles Chaplin, 1915)

Charlot cambrioleur est le dernier film de Charles Chaplin tourné pour la Essanay mais sorti quelques jours après son premier film Mutual. Il reprend le personnage du vagabond, après le film en costume qu'était Charlot joue Carmen. Très classique dans son schéma, dans ses thématiques et dans ses gags, Charlot cambrioleur suit notre personnage à sa sortie de prison. Sans le sou – ou presque, il est immédiatement repéré par un pasteur, un de ces barbus qui sous couvert de moralité, Bible à la main, vient prendre l'argent du pénitent. Ce pasteur parvient à dérober le billet qui devait servir au vagabond de se payer à manger.

Le film, d'une durée de 25 minutes et teinté au gré des lieux que notre héros traverse, est construit au fil des rencontres du personnage. Un homme complètement soûl qui titube accroché à un pylône. Charlot aurait piqué sa montre gousset, mais un policier rode. Ce sera le faux pasteur qui volera la montre. Charlot va croquer dans une dizaine de pommes pour manger, faisant croire qu'il n'est pas satisfait de la qualité. L'un des gags qui fonctionnent le mieux dans un film qui en manque cruellement. Finalement, il débarque dans un de ces abris pour sans-logis où il faut quand même verser une pièce pour dormir, pièce qu'il ne possède même pas.

Le passé criminel de notre ancien taulard va revenir comme un boomerang avec la rencontre d'un voleur connu en prison. Pourchassé par le même policier, Charlot accepte d'aller cambrioler une maison où habite une jolie jeune femme (c'est évidemment Edna Purviance), mais Charlot la trouve trop charmante pour la laisser être volée et réciproquement, elle ne le dénoncera pas à la police. L'un des plus beaux gags récurrents de cette deuxième partie montre trois policiers peu pressés d'aller arrêter le cambrioleur. Ils prennent le thé, roulent comme des pépères et finalement laissent partir Charlot vers d'autres cieux. Et d'autres films.